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L'homme surveillé
Titre français : L'homme surveillé (2009)
Titre original : Sledenijat čovek (2009)
Auteur : Vesko Branev (Bulgarie)
Traducteurs : Marie Vrinat-Nikolov et Vesko Branev
Langue : française
Edition : Albin Michel
Résumé : 1957.
Vesko Branev, étudiant bulgare, part à Berlin pour étudier le cinéma. Dans la ville que le Mur n'a pas encore divisée, il s'enivre pour la première fois de liberté. Mais un matin, un homme se présente à lui : il est officier du KGB et lui promet une vie " intéressante et glorieuse " s'il travaille pour eux. Dès lors, la vie de Branev bascule ; incapable d'accepter, il passe à l'Ouest. Mais peu après, il est enlevé par la Stasi, remis à la Sécurité bulgare, interrogé, emprisonné. Une fois libéré, pour le reste de sa vie, il restera un " homme surveillé ". Cette autobiographie scrupuleuse d'une vie ordinaire sous le régime communiste nous raconte comment on détruit un homme. A la manière du héros du film La Vie des autres, Branev a eu accès à son " dossier " après la chute du Mur : documents et rapports nous révèlent par quels mécanismes le système a entraîné ses proches à faire d'un innocent un coupable. Salutaire rappel sur la mise à mort psychologique des individus dans les régimes totalitaires, ce texte fort, terrible, a connu un succès retentissant et controversé en Bulgarie. Par son écriture et son humanité, il est un classique sur le rapport entre l'individu et son environnement politique.Mon avis :
Je lis peu de non-fiction, mais depuis quelque temps j'y prends de plus en plus de plaisir. Donc je suis allée flâner dans le rayon biographie de la médiathèque. J'ai été attirée par le titre, et le résumé et la nationalité de l'auteur ont fini de me convaincre.
Après une tentative de fuite du régime totalitaire bulgare vers l'Allemagne de l'Ouest, Vesko Branev est ramené dans son pays et mis sous surveillance. Il se doutait bien que son cas serait suivi de près pendant quelques années après cet échec, mais il ne s'attendait certainement pas à faire l'objet de diverses missions de surveillance jusqu'à la fin de l'URSS. Pour cette autobiographie, l'auteur s'est appuyé sur le dossier impressionnant du Service de sécurité bulgare sur sa personne qu'il a pu récupérer dans les années 2000.
Vesko Branev commence son récit dès l'enfance pour poser le contexte politique : la fin de la seconde guerre mondiale et l'installation du nouveau régime. Même s'il essaie de garder une évolution chronologique dans son récit, parfois on avance dans le temps pour reculer de quelques années au chapitre suivant, ce pour garder une cohérence et une logique par rapport à son dossier. Il explique une chose précise jusqu'au bout, et parfois cela s'étend sur plusieurs années. Ce n'est pas gênant, parce que les repères chronologiques sont clairs. Il indique toujours au moins l'année. Il parle très peu de sa vie familiale, à moins qu'il y ait un lien avec la Sécurité de l'état (SE) ou avec le mode de vie spécifique à la Bulgarie. En revanche, on suit très bien son parcours professionnel dans l'univers culturel et artistique. Ce côté est très intéressant car dans un monde où tout est régulé, il est difficile de laisser libre court à sa créativité si on ne veut pas être censuré ou pire classé comme ennemi de l'Etat.
L'auteur fait un parallèle entre sa vie, son vécu, ses souvenirs, et toutes les notes de son dossier de la SE. Il intègre des extraits, puis les décortique. Il en ressort une analyse psychologique à la fois du régime lui-même, des "travailleurs" de la SE et des délateurs. Dans son dossier, les délateurs à son encontre sont toujours nommés par un pseudonyme, mais dans la plupart des cas, l'auteur a réussi à identifier l'individu qui se cachait derrière et nous parle de son sentiment envers ces personnes maintenant qu'il sait qu'elles l'ont espionné. Lui-même a plusieurs fois fait l'objet d'une tentative de recrutement pour devenir informateur à son tour, mais il était assez malin pour s'en sortir à chaque fois sans trop de problème, même s'il se doutait que la SE n'était pas ravie et chercherait le détail pour le faire plonger. Vesko Branev évite de juger trop rapidement cependant. Il prend en compte de nombreux éléments, il analyse, encore. En revanche, il lui arrive de se juger lui-même pour ses actes ou plus précisément sa non-intervention. Il ne se place pas en victime du régime. Il nous communique sa culpabilité, quand il y en a. De manière générale, il partage souvent son état d'esprit avec le lecteur. J'ai remarqué qu'il fait une dissociation de sa personne quand il parle de lui vu par la SE, comme s'il ne se reconnaissait pas dans la façon dont ils parlaient de lui, dont ils l'incriminaient et en faisaient un espion, un traître à la patrie.
Etant donné ce contexte de surveillance et d'espionnage constant, il était de rigueur de faire attention à chaque mot que l'on prononçait, à chaque idée que l'on exprimait. L'auteur parle donc de solitude. Qu'il se sentait seul car il ne pouvait pas partager librement. Pour autant, je trouve qu'il ressort de sa façon de vivre, ou alors de sa façon de parler des relations humaines, beaucoup d'humanité. Il passait pas mal de temps seul pour son travail de journaliste et d'écrivain, mais il sortait beaucoup, allait à des soirées avec des amis. J'ai eu l'impression qu'il avait le contact facile, même si son cercle de connaissances englobait surtout des artistes comme lui.
Le décor m'a paru assez sombre. Je me suis représenté tout le récit dans des rues grises, des maisons et appartements ternes, comme si le ciel était constamment chargé de nuages et que la pluie était toujours prête à tomber pour rajouter une couche sinistre ; comme si le soleil ne pouvait percer car je l'associe plutôt moi-même à de la joie et de l'apaisement. Le contraire de l'atmosphère tendue qui régnait probablement, en tous cas qui ressort de ce témoignage. D'ailleurs, l'auteur a une très belle plume. On est loin d'un style de fiction simple et facile à lire. Ici, c'est élaboré. On sent bien qu'il maîtrise l'écriture. Parfois, j'ai même eu un peu de mal à suivre, j'ai dû relire des phrases, qui peuvent être longues.
C'est une longue chronique, j'avais plus de choses à dire que je ne le pensais. Mais voilà, c'est vraiment prenant et très intéressant de se mettre dans la tête de quelqu'un qui a vécu dans un pays rattaché à l'URSS, surtout si peu connu (dans mon cas).
Lu dans le cadre des challenges # 84 et # 87
Note : 17/20
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